Le projet de centre de tri valorisation de la Capa, agglo d’Ajaccio

Le projet de centre de tri et de valorisation de la Capa est une mauvaise solution au problème des déchets.  Ce n’est pas une réponse à l’urgence, c’est l’explosion des coûts pour l’usager, un gaspillage d’argent public, une valorisation minimale des déchets.

Communiqué publié en juin 2017 par Zeru Frazu. PDF en téléchargement sur le site Contre l'incinérateur Corse

En invoquant l‘urgence de la crise des déchets et l’intérêt général, la Communauté d’Agglomération du Pays Ajaccien(Capa) a voté le 30 mai 2017, avec le soutien de l’ensemble des acteurs (OEC, CTC, Syvadec, Cab, Ademe, services de l’état) un projet de Centre de Tri et de Valorisation des déchets (CTV), par une délibération qui permet à la fois le financement des études ET la réalisation des installations.

Un projet de centre de tri multifonction

Ce projet mixte prévoit de trier sur la même installation:

1.Les déchets recyclables des ménages issus des collectes sélectives et les déchets d’activité des entreprises, ce qui est positif car ce type d’installation n’existe pas encore pour le Sud de la Corse.
2.Les ordures ménagères en mélange (OMR) non triées en amont (environ 400 kg par an et par habitant à la Capa), qui peuvent contenir entre 40 et 90 % d’eau provenant des biodéchets. Ce procédé de tri sur ordures brutes, est classiquement appelé tri ou traitement mécano biologique (TMB), ou encore, sur-tri, pré-tri, prétraitement ou tri préparation.

Pour valoriser au mieux les déchets ménagers, réduire l’enfouissement, faire des économies, créer des emplois, la méthode qui donne les meilleurs résultats consiste, AVANT de tout mélanger, à SÉPARER en amont dans les foyers, les bureaux, les entreprises, les biodéchets humides (déchets de cuisine et de jardin, soit 1/3 en poids de la poubelle), les emballages propres et secs : plastique,carton, papier, verre, métaux, qui sont acheminés et vendus dans les filières de recyclage. Cela évite d’extraire des matières premières pour fabriquer de nouveaux emballages ou produits et permet de percevoir des financements via les éco-taxes. Les biodéchets triés à la source, sont transformés en compost de bonne qualité pour un moindre coût et valorisés en agriculture.

Une usine de tri magique ?

L’usine de sur-tri mécanique des OMR (ordures ménagères résiduelles) reçoit tous les déchets en vrac, qui ont séjourné et fermenté dans les bacs, les bennes puis dans la fosse de réception de l’installation. Par divers procédés industriels (ouvre-sac, trommels -grands cribles rotatifs perforés-), les déchets sont séparés par taille entre:
1. déchets fins organiques humides, alimentaires et autres, mélangés à des débris de petite taille de toute nature,
2. résidus solides de plus grande taille: plastiques, textiles, papiers, cartons, toxiques, dont sont extraits les métaux.

La première fraction«fine», polluée au contact des piles, médicaments, produits chimiques et souillée par divers débris est transformée en compost de très mauvaise qualité, inutilisable. A la CAPA il serait prévu de le sécher avant de l’envoyer en décharge ? Les matériaux solides, papiers, emballages, souillés par différents «jus», ne sont donc plus recyclables (problème de qualité et de pureté des flux) et constituent des refus destinés à l’enfouissement.

Prétendre trier et valoriser des poubelles mélangées est aussi stupide que de vouloir séparer les blancs des jaunes d’œufs dans une omelette cuite ! Les taux de valorisation des déchets avec ce type d’usine sont très mauvais et nécessitent toujours de grandes capacités d’enfouissement.

La Loi de Transition Énergétique  (LTECV, Août 2015) fixe comme objectif la généralisation du tri à la source des biodéchets pour tous les producteurs d’ici 2025 et précise qu’à cette date, chaque citoyen devra bénéficier "d’une solution lui permettant de ne pas jeter ses biodéchets dans les ordures résiduelles". Le procédé de tri mécano biologique est devenu obsolète et le développement de nouvelles installations “doit être évité” dit encore la Loi, car elles ne sont plus adaptées à cette nouvelle politique de prévention et de gestion des déchets. L’obligation de tri à la source des biodéchets est étendue à l'ensemble des États membres en 2023 par le "Paquet économie circulaire" de l'Union Européenne.

Le TMB (tri mécano biologique), coûteux, complexe et fragile (arrêts fréquents, pannes, incendies)*, reconnu inefficace(60 à 70 % de refus de tri enfouis ou incinérés), moins de 1% de valorisation (seulement les métaux), n’est plus soutenu par les aides publiques de l’Ademe (Agence pour le Développement et la Maîtrise de l’Énergie).

*Exemple parmi d’autres: l’usine Biopole d’Angers a fermé ses portes en juillet 2015, 4 ans après sa mise en service et une série de problèmes liés à la qualité du compost, à la santé des salariés et aux nuisances pour le voisinage: c’est un échec industriel, financier et politique…

Mais les industriels, qui proposaient ces usines comme alternative aux incinérateurs, ont d’autres solutions : en séchant et broyant les résidus solides, on prépare des Combustibles Solides de Récupération (CSR). C’est le nouveau TVME, Tri Valorisation Matière et Énergie. Une usine en France est en fonctionnement à Hénin Beaumont, avec des avis très réservés sur ses résultats techniques et financiers. Même si la CAPA affirme qu’il n’est pas question «aujourd’hui» d’incinération, ne soyons pas dupes sur ce qui se profile. Une fois l’outil en place, il faudrait le faire évoluer.

Le seul moyen de se débarrasser des résidus solides non recyclables est de les enfouir ou de  préparer des CSR pour les envoyer dans des cimenteries, qui font payer aux collectivités jusqu’à 40€/tonne pour les brûler. Le mélange brûlé est beaucoup plus polluant que le fioul lourd. La Corse n’ayant pas de cimenteries, quel est le modèle économique pour cette opération ?

Le coût d’investissement de telles usines est infiniment plus lourd que l’acquisition de bacs pour différencier la collecte et plus complexe que l’organisation de collectes séparées de biodéchets et autres flux. Le coût d’exploitation est bien plus élevé (environ 100 €/tonne) que celui de l’entretien et du renouvellement des bacs de collecte. Le coût de traitement des biodéchets par compostage (30 à 60 €/tonne) est bien moindre que l’enfouissement (100 à 150 €/tonne).

La seule justification d’un TMB est de conserver une collecte des ordures ménagères en vrac, pour soi-disant éviter une contrainte aux citoyens. Cela permet surtout de rémunérer transporteurs et exploitant de l’usine avec un tonnage maximum de déchets non triés, y compris le poids l’eau qui s’évapore ensuite !

L’économie évidente pour les citoyens est le tri à la source et la collecte séparée des biodéchets. En France plus de six millions d’habitants trient leurs biodéchets. Les collectivités l’ayant mise en place ne constatent pas de surcoût significatif de cette collecte, en prenant en compte la collecte séparée de tous flux confondus et l’optimisation des fréquences de collecte (source Ademe).

Le projet de la CAPA ne respecte pas le Plan d’Action de la CTC

Le Plan d’Action de la Collectivité Territoriale de Corse, voté le 27 mai 2016, décline l’essentiel de la démarche Zeru Frazu. C’est seulement pour la période d’urgence (six dernières pages), qu’il préconise des solutions techniques provisoires pour diminuer la quantité et les nuisances des déchets envoyés en décharge: location pour une durée limitée d’installations provisoires de sur-tri mécanisé (TMB) des ordures ménagères résiduelles.

Extraits du Plan d’Action CTC 27.05.2016 - p. 66 
Les risques de ces installations provisoires sont très précisément pointés: «Risque de pérennisation qui amènerait à considérer ces unités comme des méthodes définitives de traitement», «Risque d’un «appel d’air» qui inciterait les collectivités à favoriser ces systèmes de traitement au détriment du tri à la source, seul moyen de mettre en place une gestion saine et économique des déchets». «Il est clair que les unités légères de sur-tri sont préconisées comme une réponse d’urgence à une situation de crise et non comme une réponse pertinente à moyen/long terme
Le projet de la CAPA, frein au recyclage, augmenterait inutilement les coûts de traitement

Cette politique de tri sur ordures en mélange, suivie par le Syvadec et la CAB en Haute-Corse, aurait pour notre région un effet désastreux sur le tri à la source, sur les coûts imputés aux contribuables, au bénéfice des grands opérateurs nationaux/internationaux du déchet. Le surdimensionnement nécessaire pour des questions de rentabilité augmenterait encore l’addition. Capacité de l’usine: 44000 tonnes/an pour 125000 hab, soit 352kg/hab (Cf.note Vendée).

Mauvais exemple de La Vendée (85) choisie par l’Ademe de Corse et l’OEC pour son expérience sur la tarification incitative et un voyage d’études d’élus et techniciens de Corse. Cette collectivité n’a pas de collecte séparée des biodéchets. Elle dispose de deux TMB depuis fin 2011, pour une population d’environ 662 000 habitants, capacité totale 91000 tonnes (136 kg/hab), exploités respectivement par Veolia et Urbaser. En 2014 les taux de valorisation (ferraille) respectifs de chaque usine étaient de 0.45 et 0.98 %, compost 18,5 et 22,67%, refus en sortie de process 54,23 % et 63 %. Pour tenter de trouver un débouché à ces refus, le syndicat Trivalis va encore investir dans une unité de préparation de combustibles solides de récupération (CSR). Coût supplémentaire pour brûler au lieu de recycler…

Bon exemple du SMICTOM des Pays de Vilaine (35)

Mise en place d’une façon quasi-simultanée de la collecte séparée des biodéchets et de la redevance incitative. Résultat : réduction de 60 % du tonnage d’ordures ménagères résiduelles (OMR) entre 2012 et 2014

Télécharger la fiche Ademe dédiée à cet exemple à suivre

En comparant la capacité des usines vendéennes avec celle du projet de la CAPA, il est clair qu’elle resterait la mauvaise élève du tri pour longtemps !

Les collectivités corses pionnières qui ont engagé des actions de tri à la source et de traitement séparé des biodéchets, subiraient la mutualisation de coûts très lourds pendant 20 ou 30 ans (coût du traitement+coût d’enfouissement). D’autres collectivités renonceraient à améliorer le tri. L’immobilisme observé depuis la crise de 2015 à organiser un tri efficace et à réduire les déchets est-il une façon de garder le gisement suffisant pour justifier ces usines ?

A l’inverse du TMB, les démarches ambitieuses et volontaristes de réduction des déchets basées sur le tri à la source des biodéchets, la tarification incitative et l’implication de l’ensemble des acteurs du territoire (habitants, associations, entreprises, professionnels du tourisme, etc.) ont fait leur preuve en réduisant les déchets à moins de 100 kg /habitant/an, notamment en Italie, au Pays basque espagnol sur des territoires par-fois similaires à la Corse. Le Syvadec déclare avoir l’ambition de réduire de 50% les déchets à enfouir d’ici 2020. Souhaitons que cette ambition se traduise rapidement par la mise en œuvre de la démarche Zéro Déchet, créatrice d’emplois !

Comment prétendre favoriser simultanément un tri efficace en amont et alimenter une telle filière, qui concurrence directement le recyclage et le compostage? C’est incompatible! Les fonds du Plan Exceptionnel d’Investissement (PEI) seraient bien mieux utilisés à financer des centres de tri sur déchets «propres et secs» issus des collectes séparées, des plateformes ou usines de compostage pour les biodéchets.

La justification de son projet par la CAPA repose sur des arguments mensongers
  •  Il faudrait des années pour que les habitants se mettent à trier? NON!
    Actuellement tout semble fait pour que le tri ne marche pas, voire régresse, en particulier dans les agglomérations (points d’apport volontaire insuffisants, mal ramassés). La population est en attente d’un projet pour réduire et traiter efficacement les déchets. Une autre organisation du tri et de la collecte, une tarification incitative, déjà mise en œuvre en Corse (Calvi-Balagne), avec l’accompagnement d’ambassadeurs du tri donne des résultats très rapides.
  • L’urgence de la crise de l’enfouissement nous imposerait cette solution? NON!
    Une usine qui serait opérationnelle dans 4 ou 5 ans ne résoudrait pas le problème actuel dû à la saturation des centres d’enfouissement. Que va-t-il se passer cette année et les années suivantes? Expédition des ordures ménagères sur le continent: coûts de transport et coûts croissants d’enfouissement ou d’incinération (TGAP). Alors que les solutions simples et efficaces de réduction peuvent être appliquées immédiatement!
  • Il serait conforme à la démarche Zero Waste, présentée par le Pr Paul Connett* en avril 2017, lors de ses conférences en Corse? NON!
    (*Le Professeur Connett est l’initiateur en 1980 de la démarche de gestion Zero Waste diffusée aux USA et ailleurs).

Ce type d’argument relève de la désinformation. La démarche en 10 étapes Zero Waste, Zéro Déchet,  ne fait appel au sur-tri qu’à la 8e étape, lorsque tout a été mis en œuvre pour réduire et trier au maximum. A San Francisco, grâce à une collecte séparée de 3 flux mise en place en 1999 (biodéchets, recyclables, résiduels) 80 % des déchets sont recyclés et compostés.

Zeru Frazu informe et sensibilise sur les solutions. Ses demandes multiples de rencontre et de débat au sein de la CAPA en présence d’experts, sont restées lettres mortes. Le vote de ce projet sans débat interne sur les aspects techniques et financiers aurait-il été influencé par le poids des lobbies, en évitant de se conformer à la loi?

Tout ceci est inacceptable au nom d’une saine gestion des deniers publics, de la santé et des conséquences pour l’environnement et le dérèglement climatique. Cette politique engagerait la Corse sur la voie d’une valorisation minimum de ses déchets et de l’augmentation des coûts pour les citoyens pour des décennies. C’est un fiasco annoncé…


Aller plus loin…
Les dix étapes du Pr Paul Connett vers une société Zéro Déchet :
1. Tri à la source

2. Collecte en porte-à-porte de tous les flux séparés
3. Compostage
4. Recyclage
5. Réutilisation, réparation et déconstruction
6. Initiatives de réduction des déchets
7. Incitations économiques (tarification incitative)
8. Tri des déchets résiduels et instituts de recherche
9. Meilleur design industriel
10. Décharges provisoires

Vidéos des conférences organisées par l’associu Zeru Frazu sur le site de Zeru Frazu
Halte aux lobbies industriels ! La voix de Paul Connett et Jacques Muller, spécialistes éminents des déchets

Janvier 2016 : Rossano Ercolini( 56 mn) https://www.youtube.com/watch?v=yi6DFC5uY4k-
Avril 2017 : Paul Connett (60 mn) et Jacques Muller (20 minutes) https://www.youtube.com/watch?v=LhHF5i9QGm4

Billet Ademe Mai 2017 sur le Tri à la source des biodéchets

Dossier TMB et CSR,  sur des Technologies controversées, publié en 2018 par Zero Waste France 

Télécharger ce communiqué (format PDF) publié en juin 2017 par Zeru Frazu sur le site Contre l’incinérateur Corse

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