Les centres de surtri ou CTV ou centres multi-fonctions

Les projets de Centres de Tri et de Valorisation des déchets, portés par le Syvadec à Monte près de Lucciana et par la Capa près d’Ajaccio, sont une mauvaise solution au problème des déchets.  Ce n’est pas une réponse à l’urgence, c’est un gaspillage d’argent public, contraire aux fondamentaux des politiques de gestion des déchets. C’est l’explosion des coûts pour les collectivités et les usagers.

Les projets, qui émergent pour le traitement des déchets de notre île sont encore flous. Les informations qui circulent s’avèrent inquiétantes à plusieurs titres.

Le site de la plaine de Monte en Haute Corse prévoit de recevoir près de 100 000 tonnes de déchets par an, provenant de différents flux, de différentes communautés de commune, produits en principe par les ménages et les activités bénéficiant du service public de la collecte.
En Corse du Sud les tonnages entrants seraient de 48 000 tonnes par an pour une installation prévue dans la zone de Mezzana, près d’Ajaccio.

De quoi s’agit-il ?

Le tri et le surtri concernent deux catégories de déchets :

  •  les déchets recyclables des ménages issus des collectes sélectives du bac jaune, ce qui est positif pour le Sud de la Corse, où ce type d’installation n’existe pas encore. En Haute Corse existe un centre de tri privé à Biguglia, qui obtient des marchés du Syvadec, et traite également des déchets d’activité des entreprises.
  • les ordures ménagères résiduelles en mélange (OMR), non triées en amont par les usagers, qui peuvent contenir entre 40 et 90 % d’eau provenant des biodéchets. Ce procédé de tri sur ordures brutes, est classiquement appelé traitement mécano biologique (TMB), ou encore, surtri, pré-tri, prétraitement ou tri préparation.

Une usine de surtri, méthode de tri a posteriori des OMR reçoit tous les déchets des sacs noirs, qui ont séjourné et fermenté dans les bacs, les bennes des quais de transfert, puis dans la fosse de réception de l’usine. Par divers procédés industriels (ouvre-sac, tubes de fermentation, trommels -grands cribles rotatifs perforés-, les déchets sont séparés par taille entre :
– déchets fins organiques humides, alimentaires et autres, mélangés à des débris de petite taille de toute nature, dont il est interdit de faire du compost,
– résidus solides divers de plus grande taille : plastiques, textiles, papiers, cartons, toxiques, etc., dont sont extraits les métaux pour recyclage (valorisation matière).

Un centre multi-fonctions reçoit par ailleurs en transit du verre, carton et papier provenant des collectes sélectives, pour regroupement et conditionnement avant exportation vers les filières de recyclage choisies par le syndicat de traitement, Syvadec.

Le centre de Monte prévoit également de traiter sur une plate forme de compostage des biodéchets triés à la source et des déchets verts de jardin. Le compost produit représenterait 2,5 % des tonnages entrants. C’est l’aveu d’un renoncement à la collecte séparée, seule solution pour capter le maximum de biodéchets triés à la source, en particulier en milieu urbain dense et chez les professionnels, pour respecter les objectifs légaux et la politique exprimée par la Collectivité de Corse dans son prochain Plan.

Que dit la Loi ?

La Loi de Transition Énergétique (LTECV, Août 2015) fixe comme objectif la généralisation du tri à la source des biodéchets pour tous les producteurs d’ici 2025 et précise qu’à cette date, chaque citoyen devra bénéficier "d’une solution lui permettant de ne pas jeter ses biodéchets dans les ordures résiduelles". Le procédé de tri mécano biologique est devenu obsolète et le développement de nouvelles installations “doit être évité” dit encore la Loi, car elles ne sont plus adaptées à cette nouvelle politique de prévention et de gestion des déchets. L’obligation de tri à la source des biodéchets est étendue à l'ensemble des États membres en 2023 par le "Paquet économie circulaire" de l'Union Européenne.


La loi AGEC du 10.02.2020 prévoit qu’au plus tard le 31 décembre 2023 cette obligation s’appliquera « à tous les producteurs ou détenteurs de biodéchets, y compris aux collectivités territoriales dans le cadre du service public de gestion des déchets et aux établissements privés et publics qui génèrent des biodéchets »

Le futur Plan Territorial de Prévention et de Gestion des Déchets (PTPGD) n’ayant pas encore franchi toutes les étapes administratives pour être validé, c’est le plan de 2015, PGDND, qui s’applique. Cette période de flottement est exploitée par les porteurs de projets pour tenter d’imposer des solutions à l’inverse de toute logique.

 

Contraires à l’obligation de tri à la source des biodéchets qui s’impose aux 27 pays de l’UE

Alors qu’en Italie plus de 80 % de la population disposait déjà début 2022 d’une collecte des biodéchets, en devançant de deux années cette obligation (Dal 1 gennaio, diventa obbligatoria la raccolta dell’umido in tutti i Comuni italiani), la Corse compte traiter les biodéchets par de nouvelles distributions de composteurs, lombricomposteurs d’appartement et composteurs partagés, selon les préconisations du syndicat de traitement des déchets. Ce n’est pas parce que le Syvadec estime que 28 % de la population dispose d’une solution de compostage par ces distributions gratuites, que les usagers pratiquent ce tri et ce traitement de proximité, dès lors qu’il n’y a pas d’accompagnement, ni de contrôle sérieux in situ. Selon le « baromètre d’opinion » du SYVADEC : 7 Corses sur 10 ont déclaré trier leurs déchets de cuisine. Qui peut le croire en passant près des bacs débordants de sacs noirs puants ? Les usagers ne sont pas dupes de cette communication dont l’objectif est de laisser entendre que le tri des biodéchets avance alors qu’il stagne à 2 % (source Odem Corsica – Syvadec). Mais c’est un préalable légal à la construction des usines de surtri. Concernant la filière de valorisation organique des biodéchets, seule valorisation matière locale créatrice d’emplois, malgré les engagements pris dès 2015, les nouveaux centres de compostage annoncés n’existent toujours pas sur le territoire, en dehors de Vighjaneddu et Corti.

Contraires à la réduction des déchets

La collecte et le traitement séparés des biodéchets alimentaires concerne environ 30 % du poids de la poubelle ménagère. Lorsqu’il est pratiqué à grande échelle, il présente non seulement un intérêt pour la production de compost utilisé en agriculture, mais aussi pour améliorer les performances de tri des autres matériaux et pour faire diminuer les déchets résiduels destinés à l’enfouissement.

En l’absence de tri efficace, les centres multi-filières du Grand Bastia et du Pays ajaccien recevront de forts tonnages de sacs noirs des déchets non triés, malodorants, avec des matériaux souillés non recyclables en valorisation matière, avec des restes alimentaires perdus pour le compost, qui devront être séchés et enfouis. Le poids des ordures résiduelles est depuis toujours la base de la rémunération du transport, de l’enfouissement, et la condition de la rentabilité des usines de surtri qui facturent les tonnes entrantes. Qui a intérêt à voir réduire les déchets ?

Pour rappel : les collectivités doivent justifier du tri à la source des biodéchets, désormais condition sine qua non à remplir, si elles souhaitent créer ou étendre des installations de TMB (aussi dénommées surtri ou prétraitement, mais faisant appel aux mêmes technologies) sur leur territoire.
Lire article de Zero Waste France

Contraires à la loi sur l’économie circulaire, à la nécessité de préserver la matière en limitant la consommation des ressources.

Les chaînes de fabrication de CSR (combustibles solides de récupération), par broyage des déchets séchés ayant un fort potentiel calorifique sont prévues pour revenir à l’incinération, qui détruit définitivement les matières en cendres et pollution. Cela malgré la délibération à l’unanimité de l’Assemblée de Corse du 25 novembre 2010, actant l’abandon définitif de tout traitement thermique : LIRE article
Le gisement de CSR sera important si le tri à la source est mal organisé et peu encouragé comme c’est encore trop souvent le cas.  Ainsi cette filière de combustibles issus des déchets sera destinée à alimenter des chaudières, incinérateurs qui ne disent pas leur nom. La tentation de brûler un maximum de matériaux qui pourraient être réutilisés ou recyclés est un risque prévisible, car une fois les fours construits, il sera difficile de les réguler et de les contrôler.

L’aberration des réseaux de chaleur issue de la combustion des déchets.

Des chaudières à CSR, dites « biomasse », seraient implantées à proximité. Il est question de les coupler avec des réseaux de chaleur utilisant de l’eau chauffée par les chaudières à déchets.  Est-ce bien raisonnable dans des zones côtières, où le chauffage ne fonctionne guère plus de 4 mois par an ? Cela obligerait à trouver des combustibles pour les alimenter et les contrats conclus avec les utilisateurs de chaleur consolideraient le système. Lire article : Le grand gaspillage du chauffage urbain alimenté par l’incinération des déchets

Non respect de la hiérarchie des modes de traitement, socle juridique de la gestion des déchets.

La hiérarchie des modes de traitement définit la politique des déchets, avec par ordre de priorité : la réduction, le réemploi, puis le recyclage, avant toute valorisation thermique (incinération) et l’élimination (enfouissement).
Lors d’une table ronde à l’IUT de Corse le 24 novembre 2022,
M. Jean-Louis Bergey, expert en économie circulaire à l’Ademe (Agence pour le Développement et la Maîtrise de l’Énergie),  a présenté les scénarios proposés par le GIEC pour aller vers la neutralité carbone. A propos du scénario « Technologies vertes », M. Bergey a souligné que la production de CSR détourne la réglementation sur la hiérarchie des modes de traitement. Il a précisé qu’il y a une distorsion avec la politique des déchets.
Les chaudières peuvent en effet créer un appel à déchets, comme l’aurait fait l’incinérateur de 160 000 t/an prévu par le Syvadec en 2006.
Par ailleurs, la fabrication des CSR
est un art difficile et complexe : on ne peut pas broyer n’importe quoi (exemple interdiction du PVC). Elle est théoriquement encadrée par une norme, mais le risque de dérive est important et les contrôles malheureusement insuffisants. L’usine de Monte produirait des CSR à hauteur de 19 % des tonnages entrants.

Comment l’État et ses services, par leurs décisions et les financements annoncés, peuvent-ils pousser notre île vers la création de telle installations ? Comment l’Ademe de Corse (Agence pour le Développement et la Maîtrise de l’Énergie), qui ne doit pas financer d’usine de TMB, peut-elle contourner la loi ?

Contraires au principe de la préservation des terres agricoles inscrit dans le PADDUC (Plan d’aménagement et de développement durable de la Corse)

Le projet pour les déchets du Grand Bastia est situé dans la plaine de Monte au sud de l’aéroport, sur des terrains d’alluvions à la fertilité reconnue. Ces parcelles sont parfaitement adaptées au développement d’une agriculture nourricière, avec possibilité d’irrigation en raison de la proximité avec le Golu, afin d’orienter notre région vers plus d’autonomie alimentaire. Le Préfet n’a pas hésité a faire une déclaration d’utilité publique (DUP) pour permettre la création de ce site industriel, qui sera accompagné d’autres projets urbanistiques. Même DUP pour le terrain proposé par la Capa pour l’implantation de son usine dans la zone de Mezzana.

Contraires aux actions urgentes préconisées pour la limitation du dérèglement climatique

La matière organique de nos poubelles est essentiellement composée de carbone. Alors que dans le sol il améliore sa fertilité, dans l’atmosphère il est l’un des principaux facteurs déterminant l’effet de serre, sous forme de CO2. Les sols sont le deuxième plus grand réservoir de carbone de la planète après les océans. Plus la quantité de compost rendue au sol sera importante, plus la lutte contre le changement climatique sera efficace. D’où l’impérieuse nécessité de déployer un plan compostage de grande ampleur, adapté à tous les habitats, en particulier urbains (53 % de la population vit dans l’espace urbain, selon l’INSEE).  Par ailleurs, les chaudières, comme toutes combustions de matériaux issus de la plasturgie, donc du pétrole, émettent du CO2.
Vidéo : Éclairage sur la relation Déchets / Climat

De nouvelles pollutions

Les usines et les chaudières ne suppriment pas les décharges. Pire il faudra des sites pour enfouir les substances dangereuses issues de la combustion, soit sur l’île, soit dans d’autres territoires. Qui est prêt à les recevoir ?
Les combustibles issus des déchets (CSR), d’une composition complexe difficilement contrôlable, sont plus polluants que le fioul lourd en raison des nombreux additifs chimiques. Ils contiennent du chlore, du mercure, des métaux lourds et autres polluants. Ils peuvent générer des dioxines, en particulier des dioxines bromées issues de la combustion des retardateurs de flamme incorporés dans de nombreux biens de consommation, notamment électroniques et d’ameublement. La Corse subit déjà son lot de pollutions atmosphériques et de particules fines issues notamment des centrales électriques au fioul et des navires, sans en ajouter de nouvelles.

Vers un gouffre financier

L’argent public qui serait englouti par l’État, la Collectivité de Corse et le Syvadec pour financer ces projets serait d’au moins 70 millions d’euros pour la Haute Corse et 50 millions pour la Corse du Sud.

Les coûts de fonctionnement seraient évalués à 20 millions d’euros par an et par unité. En effet les usines de surtri industriel des ordures ménagères résiduelles sont complexes et fragiles (arrêts fréquents, pannes, incendies). C’est un maillon supplémentaire dans la chaine de traitement des déchets, en rien un substitut à l’incinération ou à la mise en décharge. Il freine le recyclage et le compostage et double les coûts de traitement.

LIRE : Les coûts cachés de l’incinération : le cas de Madère et des Açores

Le surdimensionnement, nécessaire pour rentabiliser ces projets industriels, augmenterait encore l’addition. C’est un modèle économique très risqué, qui engagerait les collectivités pour des dizaines d’années. Les mauvais exemples et les échecs, dénoncés notamment par les Chambres régionales des comptes, ne manquent pas : Montpellier, Hénin-Beaumont, Angers, Rochefort, Vendée…

Comment prétendre que ces projets ne s’opposeraient pas au tri à la source, prôné dans le Plan des déchets ?

La justification des projets repose sur de mauvais arguments

  •  Il faudrait des années pour que les habitants se mettent à trier ? NON !
    Actuellement les taux de tri stagnent à 38 %. A part quelques collectivités engagées, tout semble fait pour freiner, voire faire régresser le tri, en raison de collectes mal gérées, non contrôlées en bacs  en nombre  insuffisant (PAV, points d’apport volontaire), mal ramassés.
    La population est en attente d’une vraie organisation pour traiter efficacement les déchets et les réduire. La méthode de gestion reposant sur le trépied Zéro Déchet permet des résultats très rapides, avec l’accompagnement d’ambassadeurs du tri.
    Il s’agit, dans les foyers, les restaurants, les bureaux, les entreprises, de séparer en amont avec nos dix doigts les biodéchets et les recyclables, d’organiser au sein des communautés de communes une collecte contrôlée au porte à porte ou en points de regroupement et de mettre en place une tarification incitative, avec une part fixe et une part variable basée sur la qualité du tri.
    Cette méthode est en place dans 13 communes de Calvi-Balagne et le recensement est en cours dans la partie urbaine de Calvi.
    Elle permet d’atteindre dès la première année des taux de minimum de collecte séparée de 65 à 70 %, puis 80 % et au delà.  Les tonnes de déchets résiduels baissent en conséquence, ainsi que les coûts de traitement.
  • La crise de l’enfouissement nous imposerait cette solution ? NON !
    Une usine qui ne serait pas opérationnelle avant 3 à 4 ans ne résoudrait pas le problème actuel de la saturation des centres d’enfouissement par des tonnages trop importants de déchets résiduels non triés. Les méthodes simples, moins coûteuses, efficaces peuvent être appliquées immédiatement pour organiser la collecte et la réduction.
    Au lieu de tout mélanger, la priorité est de gérer les 75 à 80 % de déchets recyclables et compostables de nos poubelles ménagères.

En Corse en 2022, le taux de tri global moyen des recyclables (collectes sélectives + apports en déchèteries) reste faible à 38 %, l’enfouissement à 62 %…

Au lieu de s’améliorer, cette moyenne entre les 19 intercommunalités insulaires stagne et reste très en deçà de la trajectoire d’amélioration imposée par les Lois.  C’est pourquoi les projets d’usines de surtri tels qu’ils sont configurés et dimensionnés sont en contradiction avec les textes de loi, sur lesquels s’appuie le Plan Territorial de Prévention et de Gestion des déchets de Corse (PTPGD).

Et toujours l’exemple de la Sardaigne !

Par comparaison, l’île voisine de Sardaigne est la plus performante de la Méditerranée. Elle est depuis 2021 la deuxième région d’Italie en matière de recyclage, alors qu’elle avait les taux de tri les plus bas. Une forte volonté politique, un engagement continu des citoyens et des administrations municipales, ont contribué à améliorer le service de collecte et à le rendre de plus en plus efficace et efficient. Parmi les 377 communes, 120 ont dépassé l’objectif de 80% de collecte séparée, 150 communes ont atteint 75% à 80% et pour 80 autres communes des taux de 70% et 75%. Voir : Article de La Nuova Sardegna, 9 février 2023   et  Étude de Zero Waste Europe, janvier 2018

En conclusion

La Corse, région parmi les plus pauvres de France, va-t-elle  s’orienter vers l’acquisition d’outils coûteux , inefficaces et dépassés ?
Cette politique, décidée par la plupart des élus des communautés de communes et d’agglomération, qui siègent au Syvadec, avec l’aval de la plupart des élus de l’Assemblée de Corse, va continuer à alimenter et laisser prospérer le business des déchets au détriment des habitants. Des solutions moins coûteuses sont réalisables. A l’heure où les crises planétaires devraient amener nos décideurs à des prises de conscience, il est urgent d’organiser la transition, de mener des actions moins impactantes pour le climat, pour plus de justice environnementale, économique et sociale.

 

LIRE PAR AILLEURS : Déchets partout, Justice nulle part, Manifeste pour un projet de société « Zéro Déchet, Zéro Gaspillage »

 

 

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