Recours contre l’usine de Monte : les associations sont-elles juste contre tout ?

Cinq associations environnementales et six agriculteurs se sont alliés pour déposer deux recours en annulation contre le projet de CTV (Centre de Tri et de Valorisation des déchets) à Monte en Haute Corse. Une première décision a été rendue le 18 avril 2025 par le juge des référés du Tribunal Administratif de Bastia, dans le cadre d’une procédure d’urgence, concernant la demande de suspension du permis de construire accordé par la commune de Monte au Syvadec

Cette décision a rejeté la demande des requérants, estimant que la condition d’urgence n’était pas remplie. Ce projet, conçu depuis plus de 8 ans, peut donc continuer à avancer tel un « rouleau compresseur », malgré les oppositions et l’avis défavorable du CNPN (Conseil National de la Protection de la Nature). Le fond de l’affaire concernant les illégalités soumises au Tribunal Administratif ne sera pas jugé avant environ deux ans.
Différents organes de presse ont relaté et commenté cette décision, entre autres :

La présentation du projet dans la presse interroge

Il convient d’observer que dans les titres, ainsi que dans le corps des articles de presse, il est généralement question de « centre de tri », sans plus de précision. Cela peut laisser entendre auprès des personnes non initiées ou désabusées par la gestion calamiteuse des déchets, qu’il s’agit d’un centre de tri pour les déchets collectés en bacs jaunes, où les usagers sont invités à déposer leurs emballages ménagers, tous matériaux confondus.
Le public, à qui l’on répète à l’envi qu’il faut trier ses déchets, peut ne pas comprendre et se demander pourquoi les associations sont toujours contre tout, même contre un centre de tri…  Mais peut-être aussi qu’une partie des journalistes, pris dans la tourmente de l’actualité, ne voit plus vraiment où est le fond du problème ?

Non,  les associations ne sont pas contre tout ! 

L’usine dont la construction commence à la plaine de Monte est tout autre chose qu’un simple et banal centre de tri d’emballages.
La part des collectes sélectives issues des bacs jaunes acheminée sur site représentera à peine 7% des tonnes transportées à l’usine et sera effectivement triée sur une chaîne dédiée.
En réalité, près de 60 % du poids des déchets entrants seront dirigés vers une autre chaîne dite « de surtri » pour ordures ménagères brutes, c’est-à-dire un tri mécanique, TMB (Tri Mécano Biologique) désormais interdit, qui ne dit pas son nom, mais fait appel aux mêmes technologies.

Comment peut-on croire à une usine qui va trier les sacs noirs d’ordures ménagères, une fois que tout est mélangé ?

C’est pourtant le projet pour notre île, de faire appel à une usine miracle qui va trier à notre place !
Tri il y aura…, mais pour quel type de valorisation ?
Les matériaux recyclables présents dans les sacs noirs de déchets en mélange seront souillés, pratiquement irrécupérables, de même que les déchets alimentaires contaminés, ne pourront être utilisés pour du compost.
Pour être rentable cette installation a besoin de déchets non triés. Elle ne respecte pas la hiérarchie des modes de traitement des déchets. Elle va empêcher la mise en place d’un vrai tri à la source, dans les foyers, les restaurants, les entreprises, car elle va absorber tous les financements, au détriment de la création d’une vraie filière de valorisation organique locale par compostage et de l’accompagnement des citoyens par des ambassadeurs du tri. Elle s’oppose à l’organisation du trépied Zéro Déchet, ci-après, qui implique et responsabilise les citoyens  :
.Tri à la source des cinq flux, y compris et surtout des biodéchets,
.Collecte séparée contrôlée et alternée au porte à porte (ou en points de regroupement) des différents bacs,
.Tarification incitative, comportant une part fixe et une part variable indexée sur la production des résiduels.
Selon les données du Syvadec, en sortie du CTV de Monte les tonnages sont ainsi ventilés : environ un tiers sera recyclé (valorisation matière), un tiers sera enfoui, et 20 % constitués de déchets à haut pouvoir calorifique seront broyés après séchage pour produire du CSR (Combustible Solide de Récupération). Quant à la part des biodéchets traités, elle donnera 3 % de compost normé.  Le détournement des biodéchets des OMR (Ordures Ménagères Résiduelles) est censé être résolu par la distribution gratuite de composteurs ou le compostage partagé. Cependant au 1er janvier 2025, selon le Syvadec, seulement 33 % de la population est équipée d’une solution de compostage.  Que faire lorsque l’on fait partie des 67 % sans solution, généralement en milieu urbain ? La réponse est facile…
Petit rappel réglementaire à propos du tri à la source des biodéchets :
  • L’article 90 de la loi anti-gaspillage de février 2020 prévoit que, pour recourir au tri mécano-biologique (TMB), les collectivités locales doivent désormais démontrer qu’elles ont d’ores et déjà généralisé le tri à la source des biodéchets sur leur territoire. En effet le TMB, méthode de tri a posteriori des ordures ménagères résiduelles (OMR), est connu pour sa non-pertinence à la fois environnementale et financière, et pour ses pollutions non négligeables ; la loi entend donc freiner le recours à cette technologie.
    Cf article Zero Waste France : https://www.zerowastefrance.org/tri-mecano-biologique-tri-biodechets/
  • La loi de transition énergétique pour la croissance verte a imposé dès 2015 la gestion séparée des biodéchets. La loi AGEC de 2020 a fixé au 31 décembre 2023 l’échéance pour mettre en œuvre cette obligation. Depuis cette date, l’ensemble des biodéchets doivent être triés à la source et les collectivités territoriales ont l’obligation de fournir des solutions dédiées aux ménages.
    Cf article Zero Waste France :  https://www.zerowastefrance.org/biodechets-definir-clairement-les-conditions-de-leur-tri-a-la-source/

A quoi servent les associations ?

Les membres des associations, à l’instar de tous les citoyens qui se mobilisent partout dans le monde, en s’appuyant sur les ONG, sur les travaux des spécialistes, des scientifiques, sur les lois, jouent un rôle préservation, de sensibilisation, d’alerte.
Dans le domaine des déchets en Corse, dès 2006 elles ont sensibilisé aux dangers de l’incinération liés au projet d’un méga-incinérateur de 160 000 tonnes. Il a été abandonné par les élus lors d’un vote de l’Assemblée de Corse le 25 novembre 2010, actant le renoncement à tout procédé thermique de valorisation.
Depuis, les associations n’ont cessé d’informer et de travailler bénévolement sur les alternatives. Différents spécialistes nationaux et internationaux sont venus à leur invitation, pour faire part de leurs retours d’expérience. Ces conférences et échanges, largement médiatisés, ont suscité un grand intérêt de la part du public et de certains élus.

Empêcheuses de tourner en rond…

Mais en vingt ans les différents acteurs ont laissé saturer les centres d’enfouissement, sans mettre en œuvre à grande échelle les mesures de bon sens qui s’imposaient pour réduire et améliorer la gestion des déchets. Seules quelques collectivités ont œuvré dans ce sens.
Par manque de vision, de courage politique, voir à cause de pressions, nos décideurs ont finalement fait le mauvais choix. Cette solution de facilité, la moins efficace et la plus coûteuse, s’appuie sur des structures industrielles imposées par de grands groupes. Surdimensionné, ce CTV implique la centralisation en favorisant les transports,  afin de revenir à l’incinération sous couvert de valorisation énergétique.
Nos collectivités seront liées pour des décennies à un système qui génère des coûts de fonctionnement exponentiels (dont tous les aspects ne sont pas encore concrètement envisagés : augmentation des taxes, coûts de transport, de traitement, de stockage, baisse des aides, incidents techniques…). Les impacts négatifs sur la santé, l’environnement, l’épuisement des ressources, le dérèglement climatique, les finances publiques sont malheureusement prévisibles. Et c’est au détriment des usagers que nous sommes.
C’est pourquoi les associations se mobilisent, cherchent à décrypter la face cachée des projets, les défèrent à la justice en dernier recours.

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